Napoléon Gratton

2024/09/25 | Par Michel Rioux

Avouons-le!

Même si la scène politique québécoise n’est pas des plus jojo ces temps-ci, nous sommes loin des profondeurs abyssales dans lesquelles Donald J. Trump a fait descendre les États-Unis depuis des années. Il ne se passe pas une journée sans qu’un délire s’abatte sur une population dont près de la moitié en redemande pourtant. Il s’est surpassé ces derniers temps en martelant, trois fois plutôt qu’une, que des migrants haïtiens dévoraient les chiens et les chats de leurs voisins à Springfield, jetant cette ville dans le chaos. Sans compter qu’il tiendra les juifs étasuniens responsables de sa défaite s’il n’est pas élu le 5 novembre et que, le cas échéant, Israël disparaîtra dans deux ans…

Le Québec, Dieu merci! n’a pas encore atteint ce niveau d’insanités. Mais n’empêche…

Comme Napoléon l’avait fait en 1797 après avoir gagné la campagne d’Italie, François Legault avait bombé le torse en annonçant la venue d’une « jeune pousse » suédoise, Northvolt, qui saurait exploiter nos richesses naturelles comme le lithium et créer « des jobs à 50 $ l’heure ». On se rappelle ces images où l’homme d’affaires, comptable de son état, était en plein orgasme.
 

Une deuxième Baie James, qu’il clamait!

Mais l’annonce du 23 septembre dans laquelle on apprenait que Northvolt licenciait 1600 personnes en Suède, soit le quart de ses effectifs, après que le gouvernement suédois a déclaré ne pas soutenir financièrement l’entreprise, nous amène à croire qu’à l’instar de Napoléon en 1815, Legault frappera son Waterloo! Les créanciers de Northvolt ont confié à la banque d’investissement newyorkaise PJT Partners le mandat de voir comment l’entreprise pourrait s’en tirer.

Mais dans ce dossier comme dans tant d’autres, la CAQ a parlé des ceux côtés de la bouche en même temps. Pour éviter que le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) se penche sur le projet d’usine en Montérégie, le gouvernement avait prétexté l’urgence de commencer la production de batteries et de cathodes en 2026, question de ne pas prendre de retard avec la concurrence. Et pourtant! Quelques jours avant sa démission, l’ex-super-ministre Fitzgibbon, ce « génie des transactions financières », prévoyait déjà un retard de 18 mois sur l’échéancier prévu…

Autre double discours. Le Parti québécois a rendu public un document dans lequel le gouvernement caquiste fait la cour aux entreprises comme Ford, GM et Northvolt en soutenant que les salaires manufacturiers au Québec sont 14 % moins élevés que dans le reste de l’Amérique du Nord. L’apologie du cheap labour, en quelque sorte! Ça me rappelle une campagne publicitaire des libéraux au début des années 1970 dont le slogan était : Vendre le Québec! Non pas au plus offrant, mais à celui à qui on offrira le plus! Le monde capitaliste à l’envers quoi!

La nouvelle PDG d’Investissements Québec, madame Bicha Ngo, disait l’autre jour à Gérald Fillion qu’elle était optimiste quant à l’avenir de l’usine québécoise étant donné que c’est la maison-mère de Northvolt qui connaît des problèmes et non le projet québécois. Je ne suis pas aussi savant qu’elle en ces matières, mais le gros bon sens me porte à croire que si la tête est malade, il serait quand même étonnant que la queue du chien soit en bonne santé…

Nous voici donc revenus 38 ans en arrière, alors qu’un autre comptable, Paul Gobeil, ministre du second gouvernement de Robert Bourassa, soutenait, en 1986, qu’il fallait « “runner” l’État comme une business », ouvrant ainsi la porte à ce qu’on a appelé alors l’État-Provigo, entreprise d’où provenait ce comptable, en lieu et place de l’État-providence. 

Pierre Fitzgibbon avait pris la relève de Paul Gobeil! Il vous a lui aussi runné  les affaires de l’État comme une business. Et comme les top guns du Merveilleux monde des affaires, l’ex-ministre ne regardait pas à la dépense, avec l’argent des contribuables cette fois. Le Journal de Montréal rapportait le 24 avril dernier que ce dernier avait dépensé 115 000 $ en frais de voyages, en onze mois, une somme beaucoup plus élevée que ses collègues.

En 2015, reprenant un cri du coeur du poète Hector de Saint-Denys Garneau, l’écrivain Yvon Rivard publiait dans Le Devoir un texte percutant : « Nous ne  sommes pas des comptables! » Si nous ne sommes pas des comptables, force est de constater que, malheureusement, l’esprit de géométrie habite ces comptables qui sont aujourd’hui aux commandes de l’État!

C’est ainsi que sous nos yeux se déroule un bien triste spectacle. En voulant suivre la consigne de la créature de Pierre Falardeau : Think big, Stie! un Napoléon s’est transformé en Elvis Gratton.