La guerre et la servitude

2008/03/26 | Par Robert Laplante

Les Québécois ne veulent pas de l’intervention militaire en Afghanistan? Too bad! Le Canada se vassalise, nos jeunes meurent et se font estropier sous une fausse identité mais qu’à cela ne tienne! L’armée fera sa propagande, le Canada nous refera le coup du devoir de loyauté et Radio-Canada nous servira du reportage à grand renfort d’analystes neutres du Collège militaire royal de Kingston. C’est normal de mourir sans avoir eu droit de se prononcer.

À la merci d’une autre nation

La guerre est l’objet le plus grave sur lequel les citoyens ont à faire valoir leur droit de vote. Le peuple du Québec est entraîné dans un conflit armé malgré sa volonté, en l’absence de tout exercice démocratique de sanction des choix de l’État canadian.

Nous sommes à la merci d’une autre nation. Nous en faisons les frais, nous en payons le prix et… nous ravalons notre impuissance. En plus de subir la propagande qui voudrait nous culpabiliser de ne pas penser comme de bons Canadians responsables.

C’est le lot d’une minorité de subir les choix de la majorité, c’est son sort de ne compter que pour quantité utile ou de n’être considérée qu’en fonction des marges de magnanimité. Pour ce qui concerne la politique étrangère, le sort de la minorité québécoise est facile à décrypter: le Québec est condamné à l’insignifiance.

Le Canada parle pour lui, le Canada décide de sa visibilité, le Canada dresse un mur entre lui et le monde. Et devant ce mur, il y en a qui se contentent d’un oeil de bœuf, d’autres qui se réjouissent d’y voir des portes qui leur donneront l’occasion de regarder par le trou de la serrure.

Il y en d’autres enfin qui sont simplement contents, soulagés de ne pas avoir à assumer quelque responsabilité en ces matières : le monde est si compliqué, s’y tenir est si exigeant qu’il vaut mieux se compter chanceux que le Canada s’en charge.

Pour tous ceux-là, la mission afghane n’est qu’une affaire de human interest comme dirait Michel Chartrand, une fatalité à laquelle on cède avec les meilleurs des bons sentiments et dont on s’accommode avec compassion. En regardant les reportages à la télé et en comptant les morts sous l’unifolié…

Le Bloc québécois a beau se démener, il n’est pas facile de déchiffrer dans ses positions ce qui pourrait ressembler à l’ombre du bout de la queue d’un point de vue québécois sur le monde. Il est totalement englué dans le paradigme canadian.

Le Bloc englué dans la politique canadienne

Sa posture illustre on ne peut plus clairement le paradoxe de sa présence et de son rôle à Ottawa. Moins il fait d’effort pour démarquer et polariser, plus il se fond dans les nuances du spectre des opinions avec lesquelles le Canada se représente lui-même ses débats. Il est enveloppé de l’opacité dans laquelle les grands partis et le gouvernement s’entendent pour ne pas que le débat porte sur les vrais enjeux.

C’est pathétique de voir toute cette question réduite à une chicane de calendrier de retrait des troupes alors que ce qui se joue là est autrement plus vaste et plus engageant. Le militarisme sous-jacent n’est pas questionné, son coût, ses implications ici et au-delà ne sont pas débattus en tant que politique à long terme. Une opposition responsable? On veut bien, mais responsable devant le peuple du Québec d’abord, pas devant la légitimité canadian.

Ce qu’on attend du Bloc Québécois

Le Canada a choisi de se ranger du côté des pays qui s’imaginent imposer la démocratie selon leurs modalités, leur rythme et leurs préférences pour les factions des élites à soutenir là où les intérêts paraissent le mieux converger.

Le gouvernement Harper manipule l’opinion publique en tenant opaque ce qui devrait être clairement énoncé et débattu. Il a fait des choix et reconduit des décisions – amorcées sous Paul Martin – qui changent radicalement la nature des interventions et les paramètres de base de son action internationale.

Il met de l’avant une perspective offensive à laquelle le Québec n’aurait aucun intérêt de souscrire pour lui-même. La logique du mercenaire, ce n’est pas un destin ni une façon d’être dans le monde pour notre peuple. Il faut le dire haut et fort. Et on s’attend à ce que le Bloc québécois se démarque plus clairement, qu’il parle et s’exprime avec un point de vue national sur ces enjeux.

La nouvelle doctrine canadian n’est pas un horizon indépassable. Il faut faire savoir que le Québec ne voit pas les relations internationales de cette manière. Il faut faire savoir que le Québec n’accepte pas cette politique de restriction mentale et ces finasseries qui servent à enrober une intervention non seulement offensive mais singulièrement corrosive pour la responsabilité démocratique de l’action internationale. Il y a d’autres manières d’assumer ses responsabilités internationales.
Le Québec est une petite nation qui n’a rien à gagner à se laisser aspirer dans les jeux dangereux auxquels se livre un Canada désireux de se faire remarquer dans la cour des grands.

Accepter de discuter de la mission afghane dans les termes qu’Ottawa nous impose ne constitue qu’une illustration de plus de notre servitude. Une servitude qui non seulement blesse notre dignité, mais profane notre intégrité en nous faisant complices d’une politique et d’une vision des choses qui sèment la ruine et la désolation.

Il faut revendiquer notre responsabilité devant la guerre. Aussi bien devant celle qu’on laisse faire en notre nom que devant celle que nous refuserions au nom de principes auxquels nous tenons. Et qui ont à voir avec une autre façon de voir et de concevoir la civilisation.

L'auteur est directeur de l'Action nationale
L'article et l'éditorial du numéro de mars 2008