Prendre soin des personnes à statut temporaire

2023/02/22 | Par Anne Michèle Meggs

L’Accord Canada-Québec sur l’immigration permet au Québec de contrôler l’immigration temporaire des personnes à statut temporaire avec un permis d’études ou de travail, mais jusqu’à ce jour aucun gouvernement n’a jugé pertinent de le faire. Au contraire, l’immigration temporaire est encouragée et facilitée tant par le Québec que par le gouvernement Trudeau avec, comme résultat, des volumes d’immigration temporaire quatre fois plus élevés que ceux de l’immigration permanente.

Compte tenu du poids de plus en plus important de ces personnes en situation précaire dans l’immigration au Québec, Simon Jolin-Barrette a pris la décision en 2019, lorsqu’il était ministre de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration (MIFI), d’ouvrir l’accès aux personnes à statut temporaire aux services d’accompagnement et d’intégration linguistique, déjà fournis par des organismes communautaires financés par le ministère aux personnes immigrantes de statut permanent.

Il semblerait en revanche que le gouvernement canadien s’apprête à aussi financer au Québec divers types de service à ces personnes dans le cadre du nouveau Programme de soutien aux travailleurs migrants, annoncé dans le budget de 2021 avec une enveloppe de 49,5 M$ sur trois ans. Le ministère de l’Emploi et du Développement social qui gère le programme a confirmé que cela « se déroulera dans le cadre de partenariats avec des organisations au Québec ».

Cette initiative va directement à l’encontre de l’esprit de l’Accord Canada-Québec et peut être bloquée par une section de la Loi sur le ministère du Conseil exécutif du Québec (LMCE). Monsieur Parizeau, comprenant bien la tendance du gouvernement canadien de vouloir imposer ses priorités aux provinces par son pouvoir de dépenser, a fait ajouter à la LMCE l’interdiction de toute entente entre le gouvernement fédéral et une entité au Québec qui obtient plus de 50 % de son financement du gouvernement du Québec.

Contexte de l’immigration en 1991

Pour bien comprendre la situation actuelle en matière de la responsabilité du niveau de gouvernement de l’intégration surtout des personnes à statut temporaire, il faut comprendre le contexte historique et les principes fondamentaux de l’Accord Canada-Québec sur l’immigration signé en 1991.

Au moment de la signature de l’Accord, l’immigration temporaire était un phénomène marginal et les personnes à statut temporaire n’étaient pas vues comme des candidates à la résidence permanente. Le recours à l’immigration temporaire pour pourvoir des postes était même découragé. Il s’agissait d’une initiative de dernier recours et elle servait uniquement à pourvoir des postes de courte durée. Les études internationales visaient une expérience d’apprentissage et de recherche dans un contexte culturel différent du pays d’origine.

Les employeurs et les établissements postsecondaires étaient responsables des besoins des personnes qu’ils recrutaient.

Quant aux quelques travailleurs étrangers temporaires au pays pour d’autres raisons, non liés au marché du travail – par exemple, des diplomates ou des personnes participant aux programmes de coopération internationale – des services publics d’accueil et d’établissement n’étaient pas nécessaires.

La vaste majorité des personnes immigrantes arrivaient après avoir obtenu leur résidence permanente. Il était d’ailleurs interdit de faire une demande de résidence permanente sur le sol canadien. Article II, 9 de l’Accord : « Le Canada et le Québec reconnaissent que les demandes de droit d’établissement doivent normalement être déposées et étudiées à l’étranger. »

Les seules personnes immigrantes, auxquelles des services d’accueil, d’établissement et d’intégration étaient fournis, étaient donc celles avec le statut de résidence permanente, toutes catégories confondues – économique, familiale et humanitaire.

Québec, seul responsable des services d’intégration

Un des principes fondamentaux de l’Accord de 1991 est la reconnaissance que ces services sont de la seule responsabilité du gouvernement du Québec. Le préambule précise que c’est la volonté des deux gouvernements « d’assurer dans la province une intégration des immigrants respectueuse du caractère distinct de la société québécoise ».

Pour respecter cette volonté, le gouvernement canadien s’engage à se retirer « des services d’accueil et d’intégration linguistique et culturelle », ainsi que « des services spécialisés d’intégration économique qui seront offerts par le Québec aux résidents permanents présents dans cette province » et d’accorder « une juste compensation » pour ces services.

Soulignons encore que les seules personnes qui recevaient ces services étaient des résidents permanents. Les personnes à statut temporaire étaient peu nombreuses et accompagnées par d’autres instances.

Avec le passage des années, le système d’immigration canadien a changé et le Québec a suivi le Canada dans ces changements :

-L’obligation de faire sa demande de résidence permanente à partir de l’étranger est tombée, ouvrant la porte à des personnes déjà sur le territoire avec un statut temporaire de faire leur demande sur place.

-Certains programmes commençaient à voir le jour pour faciliter la transition d’un statut temporaire à permanent avec, par exemple, au Canada, la Classe d’expérience canadienne, et au Québec, le Programme d’expérience québécoise.

-En 2014, le gouvernement Harper a mis en place une réorganisation du Programme des travailleurs étrangers temporaires (PTET) pour en faire deux programmes distincts. Le Programme de mobilité internationale (PMI) a vu le jour. Il y avait plusieurs objectifs à cette réforme, notamment une meilleure reddition de comptes des deux types de permis, celui qui exige une évaluation d’impact sur le marché du travail et celui qui en est exempt. De plus, de nouveaux frais exigés pour un permis de travail ouvert dans le cadre du PMI permettraient « d’améliorer la collecte de données sur les emplois occupés par les titulaires », ainsi que de « promouvoir auprès des ressortissants étrangers qui sont titulaires d’un permis de travail ouvert et de leur employeur la possibilité d’une transition vers la résidence permanente par l’entremise du nouveau système Entrée Express », prévu être en ligne à compter de 2015.

-Le gouvernement fédéral a aussi commencé, autour de 2012, à mettre en place des stratégies essentiellement économiques en matière d’éducation internationale en vue d’encourager le recrutement et la rétention des étudiantes et étudiants étrangers. La plus récente mouture couvre la période de 2019 à 2024.

-Pour faciliter la rétention ces jeunes, le permis de travail post-diplôme offert dans le cadre du PMI a pris de l’ampleur et les permis de travail ouverts étaient offerts aux conjointes et conjoints de ces jeunes pendant et après les études.

-Le nombre de différents types de permis ouverts a commencé à multiplier grâce à des directives ad hoc du ministre fédéral de l’immigration.

-Toutes les provinces ont commencé à mettre en place des programmes visant à faciliter la transition d’un statut temporaire au permanent.

-Les exigences liées au PTET sont de plus en plus déliées et le pourcentage des effectifs qui peuvent venir de l’immigration a été augmenté.

-Le Québec a mis en place des services aux entreprises pour encourager et faciliter le recrutement des travailleuses et travailleurs étrangers temporaires.

L’ensemble de ces gestes a non seulement fait exploser le nombre de personnes avec un statut temporaire au Canada et au Québec, il a aussi créé des attentes sur la possibilité de rester. Le système est en devenu un à deux étapes, non planifié. Des centaines de milliers de personnes se trouvent dans une situation précaire, vulnérables à l’exploitation et à des mauvais traitements, notamment parce que la transition vers la résidence permanente n’est pas garantie et prend de plus en plus de temps. Ces personnes vivent d’un type de permis temporaire à un autre pendant des années.

Mais, peut-être le pire, cette transformation du système n’a pas inclus des services publics d’accueil ou d’établissement pour accompagner ces gens dans leur parcours. Encore moins des services d’intégration linguistique ou culturelle. Les responsabilités des employeurs à cet égard sont minimales, souvent peu respectées, ou non existantes.

De plus, la fameuse amélioration de la reddition de comptes n’a pas suivi. Les données du fédéral sur les personnes avec un permis ouvert sont très incomplètes et on n’a pas d’idée documentée sur le pourcentage des personnes à statut temporaire qui ont l’intention de demander un CSQ et la résidence permanente ni sur le pourcentage de ceux qui amorcent ce processus et le pourcentage de ceux qui réussissent.

Imposer la primauté du Québec

Il est néanmoins temps d’imposer la primauté du Québec relativement aux services offerts aux personnes à statut précaire sur son territoire et de rapidement mettre fin à l’intrusion du gouvernement fédéral dans ce domaine. C’est la seule façon pour le Québec de maintenir le contrôle sur la langue d’intégration et le message communiqué aux personnes nouvellement arrivées.

L’information sur les normes de travail, les droits des travailleurs, les droits de la personne au Québec et la culture québécoise est déjà incluse dans les séances d’information fournies par le MIFI via les organismes communautaires. Les services sont offerts en groupe ou en accompagnement individualisé.

Le principe qui doit s’appliquer est celui de l’Accord Canada-Québec sur l’immigration. Le gouvernement fédéral devrait s’engager à se retirer de tout service à ces personnes au Québec autre que le traitement des demandes d’asile et de permis d’études ou de travail. Il doit ensuite s’engager à accorder au Québec une juste compensation pour les services publics offerts à cette clientèle, notamment les services d’intégration économique, linguistique et culturelle, pour la durée de leur statut temporaire.

Il ne s’agit pas ici d’un simple enjeu intergouvernemental administratif. Les personnes vivant dans la précarité doivent connaître leurs droits et être accompagnées dans le labyrinthe qu’est devenu notre système d’immigration au Québec. Ce dossier vise directement à atteindre l’objectif de la nation québécoise de prendre soin des gens qui se trouvent sur son territoire.