Le Plan de la CAQ pour la langue française

2024/05/10 | Par Anne Michèle Meggs

Le Plan pour la langue française rendu public le 28 avril par le gouvernement du Québec se veut « une réponse du gouvernement à la situation linguistique du Québec. Il vise à ralentir, à arrêter et à inverser le déclin de notre langue officielle et commune, le français. » (p. 9)

C’est la langue commune qui compte

Arrêtons quelques moments sur cette expression « langue officielle et commune ». Ces deux concepts sont tirés directement du préambule et de l’article 1 de la Charte de la langue française.

Deux fois plutôt qu’une, la Charte affirme que, outre le statut de seule langue officielle du Québec, « le français est aussi la seule langue commune de la nation québécoise ». Ni la Constitution canadienne ni la Loi sur les langues officielles ne fait une telle affirmation pour les deux langues officielles du Canada.

De toute évidence, c’est la qualité d’une langue comme langue commune qui assure sa pérennité.

Si on veut mesurer l’évolution d’un concept, il faut bien le définir. De retour au préambule de la Charte, on trouve le sens accordé par les législateurs, c’est-à-dire « la langue normale et habituelle du travail, de l’enseignement, des communications, du commerce et des affaires ».

On parle essentiellement de la langue de l’espace public. Soyons donc clair. La législation et la politique linguistiques du Québec n’ont jamais eu comme objectif d’encadrer la langue parlée à la maison. Il ne s’agit là qu’un faux débat pour discréditer et distraire du vrai objectif.

La force d’attraction de la langue commune

Cela étant dit, le fait d’adopter une autre langue que sa langue maternelle le plus souvent dans le milieu de vie le plus intime, celui de la vie familiale, parle de la force d’attraction de cette langue. Ce changement de comportement est peut-être le geste ultime dans un parcours linguistique personnel.

Si la langue utilisée en public est réellement commune, on peut s’imaginer qu’avec le temps, on commencera à la parler aussi en famille et que les enfants de cette famille, quand ils se feront poser la question « quelle est votre langue maternelle » dans un recensement éventuel, répondront autrement que leurs parents.

Parfois, on insiste même pour que nos enfants privilégient et maîtrisent la langue commune de la société, puisqu’elle serait perçue comme la langue de la réussite de vie sociale et professionnelle.

Cette force d’attraction des langues au Québec et au Canada est mesurée par le gouvernement fédéral. L’Enquête sociale canadienne de Statistique Canada 2022-2023, dont les résultats ont été publiés en décembre dernier, a pris une approche un peu différente de celle du recensement.

Elle a révélé « qu’environ 23 % des personnes répondantes qui parlaient uniquement une autre langue que le français ou l’anglais le plus souvent à la maison et qui habitaient dans un autre pays cinq ans avant l'enquête avaient modifié leur comportement linguistique depuis. »

Voici comment ils ont modifié leur comportement linguistique :

Au Canada hors Québec, parmi ceux qui ont modifié leur comportement, presque 100 % ont adopté l’anglais le plus souvent à la maison. Au Québec, un peu plus des deux tiers avaient adopté le français, les autres avaient adopté l’anglais.

De plus, pour revenir aux résultats découlant des données du recensement de 2021, le taux d'anglicisation nette de la population de langue maternelle française hors Québec est de 42,4 %, tandis que, sur le plan net, il n'existe pas de francisation de la population de langue maternelle anglaise au Québec.

Comment expliquer cette force d’attraction de l’anglais? Parce que l’anglais est à toute fin pratique la seule langue du travail, de l’enseignement, des communications, du commerce et des affaires, donc la seule langue commune, presque partout au Canada hors Québec.

On sait pourtant, par plusieurs études de l’Office québécois de la langue française, que l’anglais est également très présent dans ces milieux au Québec et particulièrement sur une bonne partie du territoire de la métropole montréalaise qui englobe presque la moitié de la population. Peut-on vraiment affirmer avec tant de conviction que le français est la seule langue commune au Québec?

En ce qui concerne la force d’attraction de la langue commune, l’Enquête sociale canadienne confirme les résultats d’une étude de 2013 de l’OQLF sur la trajectoire linguistique des personnes immigrantes. « Il convient toutefois de souligner que certains changements sont survenus avant l'admission au Canada » et que les résultats « donnent à penser que la plupart des changements de comportements linguistiques ont lieu peu de temps après l'arrivée des immigrants au Canada et qu'ils deviennent moins fréquents au fil des années qu'ils passent au pays. »

Enfin, il est important de noter que l’adoption ou l’apprentissage de la langue commune ne se fait pas nécessairement grâce à des cours de langue. Il y a plusieurs années le gouvernement fédéral a fait une évaluation des cours d’intégration linguistique en anglais hors Québec. Ils ont suivi le progrès de deux groupes de personnes immigrantes, dont un a bénéficié du service et l’autre s’est débrouillé tout seul. Après un certain nombre de mois, ils ont évalué les deux groupes pour découvrir qu’ils étaient au même niveau de compétence. L’apprentissage de l’anglais s’est fait tout seul, grâce à l’immersion totale dans la seule langue commune.

Le français au travail, le grand absent

Le Plan du gouvernement reprend pour la plupart des mesures déjà annoncées et touche plusieurs milieux de l’espace commun. L’éléphant dans la pièce par contre et qui frappe par son absence est le milieu de travail. C’est justement l’espace public où on passe la plupart de nos heures d’éveil, du moins pour la population qui travaille.

Nous savons que les personnes immigrantes n’ont pas de temps libre, hors des heures de travail, pour suivre des cours de langue assez intensifs permettant d’apprendre rapidement le français. Il faut des cours en milieu de travail mais, surtout, il faut un milieu de travail où c’est le français qui prime. C’est également ce milieu où, malheureusement, il faudra sans doute prendre de nouvelles mesures coercitives.

La réforme de la Charte fait en sorte que les entreprises doivent justifier l’exigence d’une autre langue que le français lors de l’embauche ou d’une promotion, mais ne dit rien sur l’exigence même du français. On permet aux entreprises d’embaucher de l’étranger sans l’obligation de s’assurer que les communications en milieu de travail se font en français et que l’apprentissage pourra se faire sur place.

De plus, il n’y a aucune motivation pour un employeur d’ajouter des cours de français pour les travailleuses et travailleurs temporaires qui, en principe, partiront à l’expiration de leur permis de travail. Des centaines de milliers de personnes avec un permis d’étude ou de travail (excluant les demandeurs d’asile) au Québec en 2023, seulement 16 715 ont obtenu leur résidence permanente. Le Commissaire de la langue française calcule que des milliards de dollars seraient nécessaires pour franciser l’ensemble des résidents non permanents au Québec. Il vaut mieux cibler les ressources vers des personnes immigrantes qui vont s’établir à long terme. Ça veut dire réduire de beaucoup l’immigration temporaire.

Un suivi des résultats?

Pour le moment, le gouvernement lance des mesures dans toutes les directions dans l’espoir de faire bouger l’aiguille vers le déploiement du français comme réelle langue commune partout au Québec. En même temps on annonce « un tableau de bord dont les indicateurs faciliteront le pilotage… et lui permettront de cibler son action pour la renforcer ». Pour ce faire, il faudra aller au-delà de l’enquête annuelle prévue par l’Institut de la statistique du Québec. Ça prendra des indicateurs permettant d’évaluer l’efficacité des mesures annoncées.

Le Plan proposé par le gouvernement va-t-il réussir à faire du français la seule langue commune de la nation québécoise? On verra dans quelques années. Ne retenez pas votre souffle.