Grandes banques et pétrolières, les deux faces d’une même médaille

2024/08/23 | Par Monique Pauzé

L’autrice est députée du Bloc québécois et vice-présidente du Comité permanent de la Chambre des communes en environnement et développement durable.
 

Début juin, le Comité permanent de l’environnement et du développement durable de la Chambre des communes recevait « les grands manitous » des cinq plus importantes sociétés pétrogazières canadiennes. Quelques jours plus tard, c’était au tour des p.-d.g. des cinq grandes banques canadiennes. Les personnes venues témoigner et répondre aux questions des élus avaient bien préparé leur « cassette », reste que certaines réponses ont paru résolument indécentes. Car, à moins de vivre dans un déni inqualifiable, on ne peut pas, en 2024, dissocier les impacts climatiques et environnementaux des activités extractivistes de l’industrie des hydrocarbures.

Pourtant, ces hommes et ces femmes y sont arrivés, et avec un aplomb qui donne froid dans le dos. Lorsque Rich Kruger, p.-d.g. de Suncor, déclare que l’idée que « la prospérité de l’industrie pétrolière et gazière s’acquiert au détriment de la planète » est un mythe, que c’est même « faux » et ajoute que « les profits et la planète ne sont pas mutuellement exclusifs ; ils sont mutuellement dépendants », on se demande quelle définition il attribue aux concepts qu’il brandit.

Sans exception, les témoins ont évoqué l’importance de bons emplois payants, d’un Canada prospère, du caractère novateur et talentueux du secteur, sans oublier le concept du pétrole éthique. Face à des questions plus pointues, le panel s’est donné le choix de détourner le sujet ou d’offrir des données floues, sinon mensongères.

Ces p.-d.g. ont certes droit à leurs opinions, mais certainement pas à leurs propres faits : il faut avoir du front pour prétendre que les émissions de secteur ont plafonné en 2017, comme l’a affirmé Rich Kruger, alors que toutes les données démontrent que l’augmentation se poursuit depuis 2004.

Leurs propos concernant la contribution des hydrocarbures dans la décarbonation de l’économie sont unanimes : « nous avons besoin d’une plus grande certitude sur le plan réglementaire ainsi que des promesses de co-investissements ». Les gouvernements ne font pourtant que ça depuis plus d’un demi-siècle pour une industrie extraordinairement prospère qui priorise ses actionnaires avec ses profits records.

L’Association canadienne des producteurs de pétrole confirmait en 2023 que les investissements du secteur atteindraient 40,6 milliards pour 2024, et que ces sommes n’iraient pas vers des mesures de décarbonation, mais vers l’augmentation de la production et de l’exploitation.

Pour la seule année 2022, les profits de ces cinq sociétés atteignaient 38,3 milliards de dollars. Malgré cela prévaut la décision commerciale claire de ne pas soutenir la transition énergétique. Cette posture devient un obstacle à nos efforts de décarbonation et met à mal les engagements internationaux du Canada dans le cadre de l’Accord de Paris.

Incapable de consacrer l’équivalent d’une seule année de profits pour favoriser la trajectoire vers la décarbonation de ses activités, l’industrie s’oppose à toute réglementation, à commencer par un plafonnement des émissions. Idem pour le méthane ayant un potentiel de réchauffement global 25 fois plus puissant que le CO2.
 

Du lobbying trois fois par jour, sept jours sur sept

En plus de venir quêter des fonds publics par le truchement du lobby qu’est l’Alliance nouvelles voies, l’industrie réclame qu’aucun projet de capture et de stockage de carbone ne soit soumis à l’examen fédéral prévu par la Loi sur l’évaluation d’impact. Le gouvernement a annoncé cinq mesures fiscales totalisant 82 milliards d’ici 2035 et qui serviront en tout ou en partie à payer les compagnies pétrolières pour de fausses solutions.

Pour formuler une telle exigence, le lobby de l’Alliance a travaillé fort. L’industrie rapporte plus de 2110 contacts au Registre des lobbyistes entre janvier 2022 et octobre 2023.

Brad Corson, p.-d.g. de L’Impériale, s’est fait une fierté de présenter « [ses] efforts [en matière] de technologie d’injection de solvants de prochaine génération et [de] développement du diesel renouvelable ». Si une réduction des émissions se réalise par ces méthodes, ce sera assurément au détriment de l’environnement et L’Impériale le sait fort bien. Pour sa part, Suncor a abandonné ses filières solaires et éoliennes.

L’industrie des sables bitumineux est la plus polluante de la filière des hydrocarbures : 12 % de notre bilan carbone provient de là. D’ailleurs, une étude commune d’Environnement Canada et de l’Université Yale, publiée dans Science en janvier explique que « [l]’ampleur des émissions détectées est particulièrement remarquable […] de 20 à plus de 64 fois plus élevée que ce qui a été déclaré dans l’inventaire des émissions » de polluants atmosphériques et que « les chercheurs ont déclaré que cela équivaut aux émissions de toutes les autres sources humaines au Canada ».

Accroître la production. Déréglementer. Nier la science. Voilà la posture des témoins entendus. Les p.-d.g. des cinq grandes banques canadiennes dans tout ça ? Parlons-en.
 

Un système financier au diapason de l’industrie

Il n’y a rien de surprenant au fait que les banques détiennent des actifs dans le secteur pétrogazier, mais lorsque ceux-ci représentent 13 % du financement mondial dans un pays qui compte pour 0,5 % de la population mondiale, il y a de quoi être attentif. Ajoutons que les cinq grandes banques canadiennes se sont classées dans le premier tiers du palmarès du financement mondial des hydrocarbures.

Leurs p.-d.g. reconnaissent tous le rôle important que leur secteur doit jouer pour favoriser la mise en oeuvre de solutions pour la transition énergétique. Ils disent tous travailler aux côtés de leurs clients pour les aider dans leurs efforts, mais aucun progrès n’est constaté. Cette stagnation est causée par un gouvernement fédéral qui tarde à établir un cadre réglementaire de divulgation et une taxonomie qui permettraient la mise en oeuvre de règles du jeu claires, communes à toutes les banques.

Ce laxisme du gouvernement libéral s’avère d’une importance capitale, avec des conséquences à long terme pour l’atteinte des objectifs climatiques, pour l’économie canadienne et mondiale et tout autant pour les épargnants. Les libéraux « font semblant », mais un gouvernement conservateur ne sera pas plus enclin à bouger.

Qu’il s’agisse du rapport Banking on Climate Chaos ou du travail du groupe de réflexion InfluenceMap, les faits colligés sont limpides : la RBC et la Banque Scotia figurent respectivement au 4e et 6e rang des 10 principaux bailleurs de fonds de projets d’expansion des combustibles fossiles pour 2023. Elles investissent respectivement 14,9 milliards de dollars américains et 14,7 milliards dans des entreprises qui ont l’intention de construire de nouvelles infrastructures génératrices de gaz à effet de serre pour les décennies à venir.

Ces banques diront qu’elles sont membres de l’Alliance bancaire Net Zéro mise sur pied par l’ONU, laquelle compte 140 institutions financières et s’engage à concrétiser une politique interne, guidée par la science, pour mener vers la carboneutralité. Ce qu’elles ne répètent pas, c’est que leurs porte-parole, soit l’Association des banquiers canadiens ainsi que la Chambre de commerce du Canada dont elles sont toutes membres, sont aux antipodes de l’Alliance… Où logent-elles réellement ? À quelles organisations les banques sont-elles loyales?
 

Conflits d’intérêts en vue

Les chevauchements entre les administrateurs de ces banques et ceux d’entreprises de combustibles fossiles doivent être dénoncés. Pour la seule Banque TD, trois administrateurs détiennent des actions d’une valeur totale de plus de 6 millions dans des entreprises de combustibles fossiles. Pour la BMO, une administratrice possède à elle seule plus de 2,2 millions en actions chez Suncor.

Le Comité a cherché à obtenir le point de vue des p.-d.g. des différentes banques devant ces faits. Elles n’ont rien eu à offrir comme réponse. Rien non plus sur l’absence de membres ayant des expertises en matière de transition et d’évaluation des risques climatiques et plus.

Si une banque fait face à des exigences plus élevées en matière de fonds propres, cela se traduira par une baisse du rendement des capitaux propres. Le rendement des capitaux est l’indicateur financier courant au coeur de la rémunération des administrateurs basée sur les performances. Ceci explique cela.

Certains observateurs remettent en question la définition même du devoir fiduciaire, compte tenu des risques d’actifs qui seront délaissés à mesure que l’on s’éloigne des combustibles fossiles.

Même le Commissaire à l’environnement et au développement durable s’est intéressé à ce dossier par le biais d’un rapport portant sur la supervision par le Bureau du surintendant des institutions financières du Canada des risques financiers liés au climat, soulignant que le Royaume Uni et l’Union européenne avaient déjà aligné les mandats des superviseurs financiers sur les objectifs de durabilité, ce que le Canada n’a pas fait.

Un projet de loi est en cours d’étude au Sénat. Cette proposition permettrait d’aligner la finance sur les objectifs de l’Accord de Paris, et le Bloc québécois y est entièrement favorable. L’autoréglementation n’est pas la solution. Il faut établir de la législation claire et robuste quant au rôle que doivent jouer les grandes banques canadiennes devant la crise climatique.

Oui, nous avons besoin de carburants, mais l’argent des contribuables québécois devrait servir à ralentir la production issue des sables bitumineux, à favoriser une sortie ordonnée et planifiée de notre dépendance aux combustibles fossiles et à bâtir des politiques structurantes pour valoriser les énergies renouvelables.

N’oublions jamais qu’au Québec notre relation à l’énergie est à l’autre spectre de celle qui prévaut dans le reste du Canada : notre énergie est renouvelable, propre, issue d’une ressource reconnue comme faisant partie du bien commun et enfin, elle est nationalisée.