Élections 2012 : les syndicats font campagne

2012/08/17 | Par Maude Messier

L’heure est à l’action politique dans les grandes centrales syndicales. Si le déclenchement des élections en pleine période estivale restreint les délais de mobilisation, les organisations syndicales n’entendent pas rester coites devant ce qu’ils estiment être l’élection la plus cruciale de la dernière décennie.

Or, aucune d’entre-elles n’appuiera officiellement un parti politique, préférant plutôt interpeller les candidats comté par comté quant à leur plateforme respective

De tous les syndicats interviewés par l’aut’journal, la grande majorité a choisi d’adresser directement leurs questions aux partis, soit via un questionnaire écrit, soit via les réseaux sociaux. Les réponses serviront à établir des comparatifs entre les plateformes électorales et les engagements des différents partis.

Ces comparatifs, arrimés aux orientations syndicales sur différents enjeux, que ce soit en matière de santé, d’environnement, d’éducation, d’économie, etc., servent d’outils d’information à l’attention des membres. À noter que les réseaux sociaux constituent le point central des outils de communication développés par les syndicats. Probablement plus que jamais.


Tournée syndicale

Si la FTQ a, par le passé, appuyé le Parti Québécois, elle invite cette fois ses membres à « rendre visite à leurs candidats respectifs et à leur demander de se prononcer sur notre plateforme », déclare le président de la centrale, Michel Arsenault. Les services publics, les régimes de retraite, les droits du travail et l'activité économique sont au cœur des priorités d’action pour la FTQ.

Les reproches de M. Arsenault envers le gouvernement libéral en disent long. « Après neuf ans de pouvoir, les libéraux sont usés », déclare celui qui n’est pas plus tendre à l’égard de la Coalition Avenir Québec (CAQ) qu’il considère comme « le haut-parleur du patronat et du milieu des affaires ».

Il met en garde la classe moyenne de « bien s’informer avant de donner son vote à l’équipe de François Legault », dont les engagements électoraux appauvriront, à son avis, cette portion de la société déjà mise à mal par le gouvernement libéral. « Je crois que les gens bien informés prennent les bonnes décisions et c’est exactement en ce sens que nous travaillerons durant la campagne. »

Dans la perspective d’appuyer localement le candidat le plus à même de défendre les enjeux qui préoccupent les travailleurs, le Conseil régional FTQ Montréal métropolitain (CRMM) a donné son appui à trois candidats de Québec Solidaire : Alexandre Leduc dans Hochelaga-Maisonneuve (qui siège par ailleurs au bureau de direction du Conseil ), André Frappier dans Crémazie et Édith Laperle dans Outremont.

Même son de cloche du côté des syndicats affiliés de la FTQ, notamment au Syndicat national de l'automobile, de l'aérospatiale, du transport et des autres travailleurs et travailleuses du Canada (TCA-Québec) où l’on favorise une lutte par comté dans l’objectif avoué de « sortir les libéraux et d’empêcher la CAQ de prendre le pouvoir, exprime Jean-Pierre Fortin, sans mâcher ses mots. On va appuyer le candidat progressiste qui a le plus de chance de l’emporter. »

Au Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP-Québec), qui représente entre autres des milliers de travailleurs du secteur municipal, on est préoccupés du fait que la question des régimes de retraite ne soit pas véritablement un enjeu de la campagne à ce jour.

« Les régimes de retraite, c’est une priorité sociale. Mais on n’en parle pas beaucoup parce que les partis ne s’attirent pas la sympathie du monde du travail, parce que leur solution, c’est généralement de couper », déplore Lucie Levasseur, présente du SCFP-Québec.

Elle réitère que le monde syndical a des solutions à apporter à ces problématiques, encore faut-il les écouter. « Ça demande des efforts de part et d’autre, incluant des employeurs, et c’est là que le bât blesse politiquement. » Elle ajoute que « c’est comté par comté la meilleure façon d’en parler avec les candidats. »

Les statuts et règlements de la CSN font en sorte qu’elle ne peut appuyer un parti politique. Or, par le passé, la centrale a déjà recommandé à ses membres de ne pas voter pour un parti, comme ce fut le cas pour l’ADQ en 2007.

Un Conseil confédéral se tiendra le 24 août prochain à ce sujet. « D’ici là, ce qu’on peut dire, c’est que le bilan du gouvernement libéral est très négatif et que nous serons sévères », déclare le président de la CSN, Louis Roy. Ici non plus, la CAQ ne fait pas d’heureux. M. Roy souligne qu’elle « frappe de plein front », faisant allusion à l’instauration d’un vote secret obligatoire pour l’obtention d’une accréditation syndicale, et qu’elle n’offre « aucune vision d’avenir pour le Québec » si ce n’est que l’augmentation de la part du privé accompagnée d’une analyse « superficielle des enjeux ».

M. Roy déplore également le vide autour de la question du développement économique durable dans la campagne. « On ne sent pas de vague de fond sur ces questions-là, en matière d’environnement notamment. Il n’y a pas de changement de paradigme ».

Si la CSN compte mener les luttes comté par comté, le Conseil central du Montréal métropolitain (CSN) pourrait adopter une stratégie politique différente en appuyant Québec Solidaire. Ce qui s’est d’ailleurs fait par le passé. Une instance décisionnelle à ce sujet devrait avoir lieu dans deux semaines.

La Centrale des syndicats du Québec (CSQ) doit également se réunir en Conseil général la semaine prochaine pour évaluer sa position en vue des élections. Il n’est pas non plus dans la culture de la CSQ de se prononcer en faveur d’un parti.

La présidente, Louise Chabot, indique que l’organisation a adopté des orientations politiques très claires en Congrès au mois de juin dernier et que les instances sont très critiques envers le gouvernement libéral.

« Notre mission, c’est de défendre et de promouvoir les conditions de travail et de vie des travailleurs qu’on représente. Alors en lien avec les valeurs promues, le message envoyé à nos membres c’est évidemment que nous n’avons pas intérêt à faire entrer le loup dans la bergerie, si je puis dire. »


De l’éducation politique

Signe que les mœurs changent, plusieurs syndicats choisissent de ne pas se prononcer en faveur d’un parti politique. Par exemple, à l’Alliance de la fonction publique du Canada, section Québec (AFPC-Québec), le porte-parole Patrick Leblanc mentionne que cette pratique était plutôt mal reçue par les membres.

« Nous voulons plutôt les intéresser d’abord à l’élection, aux débats et aux plateformes des partis. Puis, les sensibiliser et les informer sur l’arrimage entre les orientations et les priorités de notre syndicat déterminées en Congrès pour faire des choix les plus éclairés possible. »

Traduire les engagements électoraux des partis en mesures concrètes pour le quotidien des travailleurs dans leurs secteurs respectifs et à titre de citoyens, c’est précisément la mission que se donne l’ensemble des syndicats interviewés par l’aut’journal.


Fini le ministère de la Maladie!

Bien que la santé soit un pan incontournable d’une campagne électorale au Québec et que la candidature du Dr. Barrette au sein de la CAQ fasse couler beaucoup d’encre, la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ) se dit déçue de voir que les déclarations « à la volée » occupent tout l’espace. « On parle de nous, les infirmières, mais personne ne vient nous voir pour entendre ce qu’on a à dire. C’est drôle, hein!? », ironise la présidente de la FIQ, Régine Laurent.

Elle se dit préoccupée par le fait qu’aucune vision globale, notamment en matière de prévention, ne soit mise de l’avant en matière de santé. « Est-ce qu’on pourrait avoir un véritable ministère de la Santé et non pas un ministère de la Maladie comme c’est le cas actuellement? Une prise en charge globale de la population pour pouvoir arrêter de gérer à la pièce les problèmes dans les urgences, les listes d’attente et les hôpitaux? »

Du côté de l’Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (APTS), on déplore les engagements à la pièce. « On a des bonnes nouvelles à la pièce », déplore aussi Carolle Dubé, présidente du syndicat, qui s’interroge aussi sur la provenance des sommes nécessaires au financement des promesses électorales.

Elle précise que si la santé est toujours d’actualité en campagne, bien des questionnements sur les enjeux précis qui concernent les professionnels qu’elle représente demeurent sans réponse. C’est d’ailleurs sur ce point que l’APTS interpelle les partis politiques : problématique de pénurie de personnel dans les services publics, attraction et rétention du personnel, listes d’attentes des services spécialisés en psychologie, radiothérapie, réadaptation, etc.


Casser du sucre sur le dos des fonctionnaires

Du côté des fonctionnaires, le Syndicat de la fonction publique du Québec (SFPQ) soutient que l’enjeu pour les services publics, « c’est de trouver de l’argent pour l’État ». Et les solutions sont nombreuses souligne Lucie Martineau, présidente du syndicat. Elle explique que la valeur de la sous-traitance a bondi au cours des dernières années et que des sommes importantes pourraient être récupérées.

« 34 millions de dollars récurrent par année selon Madame Courchesne en ajoutant 1064 postes au seul ministère des Transports, ce n’est pas rien ça! »

Dans la foulée des allusions de corruption, de collusion et de la Commission Charbonneau, le SFPQ réclame également que les fonctionnaires, lesquels occupent des postes stratégiques à l’intérieur de l’appareil de l’État, aient le pouvoir de dénoncer la corruption dont ils sont témoins. « Parce qu’en ce moment, c’est au risque de perdre leur emploi pour bris de confiance ».

Préoccupation partagée par le Syndicat des professionnelles et professionnels du gouvernement du Québec (SPGQ) quant à la qualité et à l’intégrité des services publics offerts aux Québécois.

Le président, Richard Perron, s’en prend d’ailleurs au populisme idéologique des déclarations politiques faites en campagne sur le dos de la fonction publique. Il affirme avoir été agréablement surpris d’entendre François Legault dire qu’il fallait plus de professionnels au gouvernement pour renforcer l’expertise. Mais dix jours plus tard, M. Legault disait exactement le contraire en annonçant qu’un gouvernement caquiste couperait 7 000 postes dans la fonction publique, sans préciser ses intentions clairement. « Ça plaît à un certain électorat ces déclarations populistes quant à couper et frapper du fonctionnaire. »

Le SPGQ déplore aussi le recours accru à la sous-traitance qui coûte beaucoup plus cher aux contribuables et qui participe au démantèlement de l’expertise publique, un véritable danger selon M. Perron qui reprend à cet effet les propos de Mme. Courchesne. « Au MTQ, on ne peut même pas s’assurer que les contrats sont exécutés de façon intègre au meilleur coût possible parce qu’on n’a pas l’expertise. Elle est au privé. »

En somme, les syndicats de la fonction publique estiment qu’il y a beaucoup à faire pour assurer des services de qualité au meilleur coût possible et que la solution, ce n’est assurément pas de couper davantage. Encore faut-il savoir où les chefs ont l’intention de couper. « Est-ce que c’est normal d’avoir plus de sous-ministres au ministère de la Santé et des Services sociaux que d’inspecteurs dans les CHSLD au Québec? », de conclure Mme Martineau du SFPQ.

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