Francisation : Les clefs pour obtenir du succès

2022/12/02 | Par Anne Michèle Meggs

Nous avons traité des défis liés à l’arrivée de personnes immigrantes connaissant déjà le français dans l’article précédent . Examinons maintenant la question de la francisation des personnes qui ne le connaissent pas.

 

Agir rapidement pour réussir la francisation

L’étude de l’Office mentionné dans la chronique précédente fait le constat que, parmi les personnes allophones qui ont effectué leur transfert linguistique après leur arrivée, la moitié ont franchi cette étape au cours des cinq premières années de leur présence au Québec. Il n’y avait que 15 % des allophones natifs (deuxième génération) qui ont effectué un transfert vers le français. Il faut donc intervenir rapidement avec les mesures de francisation.

Encore une fois, l’immigration temporaire présente des défis à cet égard. Le ministère de l’Immigration du Québec, même s’il a délivré plus de 112 000 certificats d’acceptation du Québec (CAQ) (1) en 2021, dont 90 % aux étudiantes et étudiants étrangers, ne sait pas si toutes ces personnes ont été acceptées par le fédéral ni quand exactement elles sont arrivées. Cette situation est encore plus vraie pour le plus de 60 000 personnes à statut temporaire au Québec le 31 décembre 2021 à qui le Québec n’a pas délivré un CAQ, et les presque 20 000 demandeurs d’asile qui ont obtenu un permis de travail du fédéral au Québec en 2021.

Il est donc impossible de rejoindre systématiquement ces personnes pour déterminer si elles pourraient bénéficier de la francisation et les diriger rapidement vers un service en lien avec leurs besoins.

 

Absence de données pertinentes

En général, il n’existe pas beaucoup d’informations sur les résultats des efforts gouvernementaux en francisation. Les résultats des sondages mesurant le degré de satisfaction des personnes qui participent aux cours du MIFI sont très positifs. Cette formation est bien appréciée par les élèves.

Le régime pédagogique est élaboré spécifiquement en fonction des besoins des non-francophones nouvellement arrivés au Québec. Une évaluation du programme publié en 2019 a conclu néanmoins que « l’absence de documentation détaillant de façon constante les besoins de la clientèle cible du Programme constitue un obstacle à son optimisation ».

La décision du gouvernement Legault d’ouvrir les services de francisation à tous les adultes de 16 ans et plus au Québec n’aurait pu qu’aggraver cette situation. La « clientèle cible » est maintenant trop vaste et les besoins impossibles à déterminer. Les ressources ne visent plus le besoin le plus important et le plus urgent.

 

Francisation en milieu de travail : le nœud de la guerre

Plus grave encore est la question de la francisation en milieu de travail. La très grande majorité de personnes immigrantes arrivant au Québec est d'âge adulte. C’est 75 % de l’immigration permanente et presque 100 % de l’immigration temporaire. Ces personnes travaillent. Elles n’ont pas toutes le loisir ou les moyens de s’inscrire à des cours de soir ou de fin de semaine avec le temps et les déplacements que cela impliquerait. N’oublions pas que plusieurs d’entre elles dépendent du transport collectif.

Il s’agit du maillon faible de la stratégie gouvernementale, s’il y en a une, relative à l’immigration francophone. Non seulement il n’y a aucune mesure pour encourager les entreprises à favoriser les francophones dans l’embauche étrangère, mais il n’y a aucune exigence que les employeurs facilitent la francisation en milieu de travail pour les employés qui en ont besoin.

De plus, il n’y a aucune reddition de comptes sur les mesures déjà en place pour la francisation en milieu de travail. On peut présumer qu’il y a plus de chances que les milieux de travail syndiqués offrent les cours de français au personnel non francophone. Les centrales revendiquent plus d’efforts à cet égard depuis des années.

La réforme de la Charte de la langue française aura peu d’effets sur cette situation.

 

Critères de francisation pour le parrainage familial

Revenons à la catégorie de la réunification familiale. Il est simpliste et inhumain de dire tout simplement qu’on n’acceptera pas la réunification des familles si les personnes ne parlent pas français. Par contre, il est possible d’agir plus systématiquement en vue de favoriser la francisation des personnes parrainées qui en ont besoin.

Rappelons qu’il n’y a pas un grand nombre de personnes concernées dans la catégorie de la réunification familiale. Avant la pandémie, le Québec admettait annuellement en moyenne un peu moins de 12 000 personnes dans cette catégorie (2), dont un peu plus de la moitié déclaraient pouvoir communiquer en français.

Pour favoriser la francisation des autres, on pourrait commencer par demander à la personne qui parraine et à la personne parrainée si elles parlent français ! Il n’y a aucune case sur le formulaire de demande concernant la langue. Des suivis personnalisés pourraient se faire auprès des personnes parrainées ou qui parrainent, si la demande indique un besoin en francisation.

Il est également pertinent de noter que la personne qui parraine un membre de sa famille s’engage à « fournir l’accompagnement nécessaire dans les démarches d’intégration telles que l’aide à la recherche d’emploi et à l’inscription scolaire ainsi que le soutien en matière d’accès aux services publics et de participation à la vie collective ». Pourquoi ne pas modifier la fin du paragraphe comme suit : « de participation en français à la vie collective » ou ajouter l’inscription, au besoin, à des cours de français?

 

Francisation par la langue commune

Si on ne peut compter sur la francisation formelle, la langue commune dans le domaine public et au travail, particulièrement dans la région métropolitaine montréalaise, devient absolument critique pour la francisation des personnes immigrantes.

Pourtant, les francophones au Québec échangent régulièrement avec les non francophones en anglais sans vérifier si l’autre personne comprend le français. De plus en plus de jeunes francophones choisissent le cégep anglophone. Les francophones consomment beaucoup de produits culturels en anglais. 73 % des entreprises privées au Québec exigent des compétences en anglais. On navigue sur Internet en anglais. L’accueil dans les commerces sur l’île de Montréal devient de plus en plus bilingue.

La majorité francophone au Québec est en déclin par le simple fait qu’on vieillit et on ne fait pas assez de bébés. Selon le démographe Marc Termote, la pérennité de la langue française est menacée plus spécifiquement dans la région métropolitaine de Montréal. Charles Castonguay nous dévoile qu’on perd aussi de plus de plus de francophones par le fait qu’ils commencent à adopter l’anglais comme langue d’usage à la maison.

Une évaluation a été faite, il y a plusieurs années au Canada anglais, des cours d’anglais offerts aux personnes immigrantes. On a suivi un groupe qui a participé aux cours et un groupe contrôle qui s’est débrouillé tout seul. Ils ont testé l’anglais après un certain nombre de mois et ont constaté peu de différence entre les deux groupes.

Est-ce que le français langue commune au Québec, et particulièrement dans la région métropolitaine montréalaise, a la même force d’attraction que l’anglais langue commune hors Québec ?

Chaque francophone au Québec a sa part de responsabilité. Cela étant dit, le gouvernement québécois pourrait faire beaucoup plus pour encadrer et favoriser le français dans la population immigrante, que ce soit sur le plan des arrivées de francophones ou sur la francisation des personnes qui arrivent ne connaissant pas notre belle langue.

Espérons que le gouvernement aura la sagesse et la vision de reconnaître que les objectifs économiques et les objectifs linguistiques du Québec ne sont pas nécessairement mutuellement exclusifs.

  1. Le Certification d’acceptation du Québec est le mécanisme administratif utilisé pour signifier le consentement du Québec à des personnes de statut temporaire.

(2) Le nombre a monté à presque 14 000 en 2021.