Le Québec, batterie des États-Unis ?

2021/06/04 | Par Pierre Dubuc

L’automne dernier, le magazine britannique The Economist, la bible des milieux d’affaires, titrait « 21st century power. How clean energy will remake geopolitics ». L’article prédisait que la part du marché des énergies renouvelables comme le solaire et l’éolien pourrait passer de 5 % actuellement à 25 % en 2035 et à près de 50 % en 2050. C’était avant que le président Biden, prenant le contrepied de l’administration Trump, annonce un spectaculaire virage vers les énergies renouvelables.

Dans son plan de 2 600 milliards de relance économique, 56 % des dépenses sont destinées à relever le défi des changements climatiques. Lors du sommet sur l’environnement, il s’est engagé à réduire de 50 % les émissions de GES du niveau de 2005 en 2030. Il entend consacrer 174 milliards $ au véhicule électrique et il veut 500 000 bornes de recharge électrique alors qu’il n’y en a que 115 000 actuellement.

Les contrats de vente de 10 TWh (térawattheures) d’électricité à New York et de 9,4 TWh au Massachusetts s’inscrivent merveilleusement bien dans ce plan américain. Le contrat de New York devrait permettre de réduire les émissions de carbone de la valeur de 44 % des voitures circulant dans les rues de la Grosse Pomme. L’usine américaine de Lion à Chicago sera d’une capacité de construction de 20 000 véhicules électriques par année.

 

La « stratégie États-Unis » du gouvernement Legault

Dans une entrevue au Devoir (13 mai 2021), la ministre des Relations internationales, Nadine Girault, présentait sa « stratégie États-Unis », qui décrit le Québec comme « la batterie de l’Amérique du Nord ». Elle se réjouissant de la « vision verte » de l’administration Biden en citant, en plus du contrat de Lion, celui décroché l’hiver dernier par Nova Bus pour la construction de 600 autobus pour la ville de Chicago, qui seront assemblées à Plattsburgh, et l’agrandissement des installations d’Airbus en Alabama pour l’assemblage des appareils A220.

Coudonc, la ministre comptabilise-t-elle les emplois créés aux États-Unis comme des emplois « québécois » !? Il se pourrait bien que oui ! Et ce ne serait pas une première ! Un récent rapport nous informait que « Montréal chauffe Toronto » (La Presse+, 12 mai 2021) dans le domaine des « start-up » au Canada. Mais, rapporte l’article, ce sont deux importantes levées de fonds, celles d’AppDirect (250,7 millions $) et de Sonder (230,4 millions $) qui ont propulsé Montréal sur les talons de Toronto. Cependant, les deux entreprises fondées à Montréal ont déménagé leur siège social à San Francisco. Elles sont, selon le journaliste, « tout de même considérées comme faisant partie de l’écosystème montréalais » parce que leur financement provient de sources québécoises (Innova et la Caisse de dépôt) !

 

Les batteries de Fitzgibbon

L’ex-ministre de l’Économie et de l’Innovation, Pierre Fitzgibbon, promettait lui aussi le statut du Québec, « batterie de l’Amérique du Nord ». Son ministère vise à faire du Québec un fournisseur d’envergure des minéraux entrant dans la fabrication des batteries. L’industrie minière jubile. Dans un encart publicitaire publié sous forme d’articles dans La Presse+, elle se réjouit que les minéraux critiques et stratégiques (graphite, lithium, cobalt, nickel, cuivre, terres rares et des éléments du groupe du platine) entrant dans la fabrication des batteries, des éoliennes, des panneaux solaires et des dispositifs de captation et de stockage d’énergie « se trouvent en abondance dans le sous-sol québécois ». Nulle mention n’est faite des dégâts environnementaux considérables résultant de l’exploitation de ces minéraux.

L’ambition industrielle du gouvernement est des plus modeste. Il se contenterait que le Québec se spécialise dans la fabrication de composants de batterie, comme les anodes et les cathodes. Il ose miser également sur le développement du recyclage de batteries grâce aux technologies québécoises d’avant-garde. Mais, dans ce domaine, la compagnie Ci-Cycle, la plus importante dans ce domaine en Amérique du Nord et qui prévoit investir plusieurs centaines de millions de dollars pour la construction d’une douzaine d’usines, semble avoir déjà fait son choix. Elle est déjà implantée à Kingston en Ontario, soit à proximité de l’industrie automobile.

L’ensemble du gouvernement Legault adhèrent au « libre-échange » version Trump-Biden, qui accueille « librement » l’hydro-électricité, les matières premières et les capitaux québécois, tout en protégeant leurs usines de fabrication et leurs milliers d’emplois derrière le mur protectionniste du Buy American Act.

 

La géopolitique politique

Le virage environnemental des États-Unis a lieu dans le cadre d’un repositionnement géopolitique vis-à-vis de la Chine et de la Russie. Avec son plan de relance « Build Back Better », Biden veut remettre sur pied l’économie américaine en la découplant de l’économie chinoise, d’où l’intérêt pour les minéraux stratégiques québécois. The Economist donnait récemment en exemple un important investissement d’une entreprise parrainée par Bill Gates et Jeff Bezos pour découvrir du cobalt dans le Nord-du-Québec.

Washington a également pour objectif de « découpler » l’Europe de la Russie au plan énergétique. Au cœur de sa préoccupation est l’abandon par l’Allemagne du gazoduc Nord Stream II, qui doit acheminer du gaz russe vers l’Europe. La construction du gazoduc est presque terminée et sa mise en service ou son abandon est l’objet d’un intense débat en Europe.

Washington veut remplacer le gaz russe par l’exportation de gaz de schiste américain. En bon vassal, le Canada vient de signer un « partenariat énergétique » avec l’Allemagne, destination du gaz qui sera transporté par un nouveau gazoduc qui traversera le Québec pour se rendre à une usine de liquéfaction en Nouvelle-Écosse. Le projet GNL Goldboro, d’une valeur de 13 milliards $, est comparable au projet GNL Saguenay, les deux transportant une quantité similaire de gaz naturel.

Les deux projets sont faussement présentés comme faisant partie d’un plan de « transition énergétique » visant à remplacer des sources d’énergie plus polluantes, alors que c’est un secret de polichinelle que le gaz naturel nord-américain vise à remplacer le gaz naturel russe. GNL Saguenay vient d’ailleurs de confirmer la signature d’un contrat avec l’Allemagne.

Le gouvernement Legault a donné son accord au projet GNL Goldboro et n’a toujours pas renoncé au projet GNL Saguenay, malgré un avis défavorable du BAPE. Le projet GNL Goldboro bénéficie d’une « passe-droit » fédéral pour éviter une évaluation environnementale.

L’ensemble du projet de gazoduc et d’usine de liquéfaction à Saguenay nécessiterait une consommation annuelle d’électricité serait d’environ 6 TWh, soit l’équivalent de la consommation de 300 000 maisons. Selon l’Union des consommateurs, la facture d’électricité des abonnés d’Hydro-Québec augmenterait de près de 10 milliards de dollars au cours des 25 premières années du projet. C’est sans tenir compte des quelque 20 TWh des projets d’exportation au Massachusetts et à New York.

Le tarif du contrat avec le Massachusetts est difficile à évaluer. Selon Hydro-Québec, le contrat d’une durée de 20 ans procure un tarif de 8,8 cents le kWh, mais duquel il faut retrancher les coûts de transport.  À titre de comparaison, Hydro-Québec a exporté en 2019 près de 34 TWh d’électricité, dont 80 % à 4 cents le kWh, soit le prix du marché à court terme. Le coût de la production de l’électricité à la centrale de La Romaine est évalué à 6,5 cents le kilowattheure et celui des éoliennes à 6 cents le kWh.

Pour répondre aux besoins de ces nouveaux projets, Hydro-Québec vise à augmenter la capacité de ses installations sans tenir compte des impacts environnementaux et des droits ancestraux des Autochtones, comme l’a souligné la Coalition Innu-Atikamekw-Anishnabek dans sa lettre au maire adjoint de New York. Ils sont un exemple à suivre par leur opposition à la colonisation économique du Québec par les États-Unis.

 

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