L’aut’journal et la guerre en Ukraine

2022/04/12 | Par Pierre Dubuc

Longueur du texte : 4 200 mots
 

Les nouvelles et les images en provenance de l’Ukraine sont insoutenables. Des morts par centaines, des blessés par milliers, des millions de déplacés, des villes entières rasées. Le droit à la sécurité et à l’autodétermination de la nation ukrainienne piétiné, bafoué, méprisé. Poutine va porter à jamais l’opprobre d’avoir déclenché cette guerre en envahissant l’Ukraine.

Si nous n’étions guidés que par nos émotions, nous nous précipiterions, comme plusieurs, à crier « Go! Go! Otan! » en espérant qu’une intervention rapide de l’alliance militaire mettrait fin au conflit, comme nous y a habitué la cinématographie hollywoodienne.

Mais au-delà des émotions, il y a la raison. Comme l’écrit Anne-Cécile Robert dans La stratégie de l’émotion (Lux, 2018), « les émotions dévorent l’espace social et politique au détriment des autres modes de connaissance du monde, notamment la raison. »
 

Désescalade et non-escalade

Alors, essayons plutôt d’analyser la situation en gardant le cap sur notre objectif, qui est la fin du conflit, l’établissement d’une paix équitable et durable et le respect de l’indépendance nationale de l’Ukraine. Notre analyse est fondée sur deux principes. Premièrement, « la guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens », comme l’a formulé le grand stratège militaire Clausewitz. Donc, si on veut comprendre les causes de la guerre, il faut procéder à une analyse concrète pour connaitre la politique qui a mené à la guerre. C’est fastidieux pour les amateurs de solutions rapides, mais nécessaire.

Deuxièmement, il y a des guerres justes et des guerres injustes. Là, les avis peuvent diverger. Pour certains, la guerre actuelle est une guerre de libération nationale de l’Ukraine. Certains ajoutent que c’est une guerre sur le modèle de la Seconde Guerre mondiale – une guerre juste – contre le fascisme, poutinien plutôt qu’hitlérien.

Un troisième point de vue est que cette guerre est une guerre injuste du côté des deux belligérants sur le modèle de la Première Guerre mondiale. Les deux belligérants étant, d’un côté, la Russie et, de l’autre, non point l’Ukraine, mais l’OTAN.

Une situation similaire, qui s’est produite au début de la Première Guerre mondiale, peut être invoquée pour soutenir ce point de vue. La Belgique a été envahie par l’Allemagne, même si elle proclamait sa neutralité. La Grande-Bretagne et la France ont alors hypocritement justifié leur déclaration de guerre en proclamant se porter à la défense de l’indépendance de la Belgique. Mais l’argument s’est vite dissipé, car il est devenu évident que la guerre en était une pour le repartage des zones d’influence et des colonies entre les grandes puissances. Examinons maintenant la situation ukrainienne du point de vue des différents belligérants.
 

La Russie

Du côté de la Russie, c’est une guerre totalement injuste. Les justifications de la Russie pour l’invasion de l’Ukraine ne tiennent pas la route. La présence de fascistes en Ukraine au sein de l’armée et du gouvernement a beau avoir été reconnue même par le New York Times – nous y reviendrons – mais, dans l’état de nos connaissances, nous considérons qu’ils ne représentent pas pour la Russie la menace qu’elle affirme être.

La deuxième justification invoquée par Poutine – la négation de la nation ukrainienne – va à l’encontre de l’histoire des deux pays. La reconnaissance de l’Ukraine comme nation indépendante par Lénine n’était pas une erreur, comme le proclame Poutine. Cette négation cache mal sa volonté affirmée de reconstituer l’empire des tsars.

N'en déplaise aux nostalgiques de l’URSS, la Russie n’est pas un pays socialiste, mais bien un pays impérialiste. Le marché socialiste a été démantelé, les oligarques dominent des conglomérats capitalistes et l’idéologie poutienne ne s’inspire par de Marx, Engels ou Lénine, mais de deux nationalistes russes chauvins Ivan Ilyn et Alexandre Douguine.

Cette analyse s’applique aussi aux nostalgiques de la Guerre froide, dont la dénonciation de la Russie est basée sur un anticommunisme primaire ou encore une répulsion à l’égard du peuple russe qui serait immature démocratiquement et barbare.

Y a-t-il un nombre d’années requis pour qu’une démocratie soit déclarée mature ? Les États-Unis ont élu Trump, la France va peut-être élire Marine Le Pen, la grande civilisation allemande a élu Hitler et a basculé dans le fascisme.

La Russie a produit une grande culture musicale, littéraire, artistique. Cependant, il est vrai que la Première Guerre mondiale (3,3 millions de morts), la guerre civile qui a suivi (4,5 millions de morts) et la Seconde Guerre mondiale (25 millions de morts) ont laissé des séquelles. Mais le peuple russe peut s’enorgueillir d’avoir battu les armées d’Hitler. Tous les historiens reconnaissent que le point tournant de la Seconde Guerre mondiale a été la bataille de Stalingrad (800 000 morts). Ce n’est qu’après cette victoire que les Alliés ont planifié le débarquement en Normandie, après avoir longtemps tergiversé, attendant de voir l’Allemagne et l’URSS s’affaiblir.

Les Européens savent ce qu’ils doivent au peuple russe, c’est pourquoi il y a une station de métro nommée Stalingrad à Paris. En Amérique du Nord, la très grande majorité de la population, intoxiquée par tant de films hollywoodiens, est convaincue que la victoire contre l’Allemagne nazie est attribuable aux États-Unis. Ceci dit, sans négliger d’aucune façon la contribution essentielle des États-Unis et du Canada dans la victoire contre le nazisme.

Poutine mise frauduleusement sur la fierté bien légitime du peuple russe et son horreur du fascisme et sur un contrôle strict du message diffusé par les médias pour rallier la population dans sa guerre contre l’Ukraine en dépeignant le gouvernement Zelensky comme fasciste.

Malgré tout, une véritable opposition à la guerre se manifeste dans les principales villes du pays. Nous salons le courage de ces pacifistes qui risquent huit ans de prison pour leur geste. Et le magazine The Economist, rapportant des analyses des services secrets britanniques, fait état de mutineries dans l’armée russe d’occupation de l’Ukraine. Il est bon de rappeler que la révolution russe de 1917 s’est déroulée pendant la Première Guerre mondiale sous le mot d’ordre du défaitisme révolutionnaire.
 

L’Ukraine

L’Ukraine est également un pays de grande culture. Elle a subi, elle aussi, les affres de la Première Guerre mondiale, de la guerre civile, de la Seconde Guerre mondiale – Kyiv a changé de main 14 fois pendant cette guerre – et, tout comme la Russie, de l’écroulement de son économie lors de la dissolution de l’Union soviétique. Elle a un droit inaliénable à l’indépendance nationale et à la paix.

D’aucuns refusent de reconnaître le statut de lutte de libération nationale à l’Ukraine en invoquant la présence de fascistes dans son armée et son gouvernement. Cette présence est documentée. Même le New York Times y a consacré un article. Après ce que l’Ouest appelle la révolution du Maiden en 2014 – et la Russie, un coup d’État – le gouvernement a réhabilité Stepan Bandera et ses proches collaborateurs en renommant en leur honneur des avenues et des stades.

Dans leur monumentale histoire de l’invasion allemande de l’URSS – Barbarossa. 1941. La guerre absolue (Passés/Composés, 2019), Jean Lopez et Lasha Otkmezuri présentent ainsi Stepan Bandera et son mouvement.

« L’OUN, ‘‘l’Organisation des nationalistes ukrainiens’’, créée en 1929 à Vienne, s’est scindée en 1940 en une OUN-M, conservatrice et proche de l’église uniate, et une OUN-B, radicale, et parente du nazisme, à la fois par son antisémitisme, son antibolchévisme, sa volonté d’épurer l’Ukraine de toutes ses minorités ethniques et de s’intégrer à une Europe nationale-socialiste. Dans sa propagande, l’OUN-B désigne les bolcheviks comme ‘‘les Juifs de Moscou’’ et lance ce slogan : ‘‘Tuez les ennemis qui sont parmi vous – les Juifs et les espions’’. Le B est l’initiale du nom de son chef Stepan Bandera, idole de la jeunesse nationaliste ukrainienne. Le Providnyk (Führer) Bandera, qui réside à Cracovie, donne ordre à ses hommes de collaborer à fond avec la Wehrmacht et son service secret, l’Abwehr. Des plans sont dressés pour proclamer l’indépendance de l’Ukraine à Lvov, dès que l’Armée rouge l’aura quittée. »

Bandera a fait un mauvais calcul. L’Allemagne n’avait aucunement l’intention de reconnaître une Ukraine indépendante – une erreur stratégique selon plusieurs historiens. Son objectif était d’asservir les Slaves. Bandera a été arrêté par les Allemands et placé en résidence surveillée à Berlin. Et qu’arrive-t-il alors de l’État ukrainien ? Voici ce qu’en disent les auteurs de Barbarossa.

« ‘‘L’État ukrainien’’ disparaît aussitôt après son premier acte souverain, l’organisation du pogrom de Lvov. Le 2 juillet, le gros de l’Einsatzgruppe C arrive à Lvov et transforme, avec l’aide de l’OUN-B, le pogrom en fusillade organisée. Le 6 juillet, quand l’Einsatzgruppe C prend la route de l’Est, le massacre des juifs s’arrête provisoirement. Il a fait, selon les estimations, entre 2000 et 7000 victimes. Dans cette affaire, l’on observe une sorte de division du travail : les Allemands sont les instigateurs du pogrom; les nationalistes ukrainiens, les organisateurs; la foule : les exécuteurs. » (page 431)

Est-ce pour célébrer ces événements que l’Ukraine a érigé des monuments à Bandera et à son « État ukrainien » ? La presse occidentale souligne à grands traits le fait que le président Zelensky est juif pour nier la présence de nazis dans son entourage. Le journaliste du New York Times a écrit que les nazis ukrainiens ne ciblent plus les juifs, mais seulement les Russes. En somme, la présence de nazis est indéniable, mais nous ne pouvons pas nous prononcer sur leur importance et leur influence.
 

L’armée de l’OTAN

Cependant, la présence de l’OTAN, elle, est bien mesurable. Depuis plusieurs années, des instructeurs militaires américains, britanniques et canadiens ont formé l’armée ukrainienne pour qu’elle soit opérationnellement compatible avec les forces de l’OTAN. L’armée ukrainienne est importante. Elle compterait 245 000 militaires dans le service actif. Ses succès ne reposent pas sur des volontaires armés de fusils de chasse, comme nos médias nous l’ont présenté au début de la guerre. Elle est équipée d’un armement moderne et sophistiqué. Les missiles Javelin contre les blindés, les Stingers contre les hélicoptères et les avions opérants à basse altitude et les drones turcs contre les convois militaires ont infligé de lourdes pertes à l’armée russe.

Le président Zelensky a longtemps réclamé, sans succès, l’instauration d’une « no fly zone » au-dessus de l’Ukraine. Mais l’OTAN n’est pas absente du ciel ukrainien. Un reportage de France 2 (8 avril) à bord d’avions-radars AWACS de l’OTAN volant près de la frontière ukrainienne montrait qu’ils pouvaient repérer tous les avions décollant de Russie ou de Biélorussie. Au journaliste qui demandait si ces renseignements étaient communiqués à l’armée ukrainienne, l’officier responsable des opérations a répondu à plusieurs reprises : Non. Mais le reportage nous a appris que les informations étaient transmises aux pays membres de l’OTAN, dont certains les transféraient en temps réel aux forces ukrainiennes. L’OTAN va bientôt équiper l’armée ukrainienne de missiles capables d’abattre des avions volant à haute altitude.

Il est aussi remarquable que Poutine soit incapable de brouiller les communications en Ukraine alors qu’il peut contrôler l’Internet et les réseaux sociaux en Russie. Déjà, avant même qu’Elon Musk assure par ses satellites les communications Internet à la population ukrainienne, celles-ci étaient déjà sécurisées par l’OTAN. Cela a permis aux Ukrainiens de gagner la bataille des communications et de contrôler totalement le message transmis en Occident. Un avantage considérable pour influencer l’opinion publique et justifier l’envoi de matériel militaire, l’imposition de sanctions et l’augmentation des budgets militaires. Bien entendu, comme le veut le dicton, « la vérité est la première victime de la guerre », mais cela ne s’applique, bien entendu, qu’à l’information en provenance du camp adverse.

Nous ne voyons jamais les installations et les forces militaires ukrainiennes. Nous n’avons eu droit à aucun reportage sur la présence de conseillers politiques et militaires de l’OTAN auprès du gouvernement et de l’armée ukrainienne. Mais leur absence serait étonnante, après avoir vu comment les services de renseignement américains avaient infiltré le gouvernement russe, au point d’être en mesure de prédire avec une extraordinaire précision l’invasion de l’Ukraine. Le président Zelensky est un excellent communicateur, mais jusqu’à quel point est-il libre de ses propos ? Jusqu’à quel point exprime-t-il le point de vue de l’Ukraine ou celui de l’OTAN ?

Tout cela démontre que l’OTAN avait préparé depuis belle lurette l’Ukraine à faire face à une invasion russe. Compte tenu de l’importance de l’implication de l’OTAN et que la guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens, il est important de connaître qu’elle était et est la politique de l’OTAN.
 

L’OTAN et les États-Unis

Pour comprendre la stratégie de l’OTAN, un recul historique s’impose. Créée en 1949, dans le contexte de la Guerre froide, on se serait attendu à sa disparition, au lendemain de la chute du Mur de Berlin (1989) et de la dissolution de l’Union soviétique (1991) et du Pacte de Varsovie. À cette époque, Gorbatchev parlait de « Maison commune européenne », le président François Mitterrand soutenait l’idée d’une Confédération souple des pays européens. Le chancelier Helmut Kohl rêvait d’une Allemagne dénucléarisée. Le président tchécoslovaque Vaclav Havel a demandé le départ de toutes les troupes soviétiques et américaines de l’Europe.

Le secrétaire d’État américain James Baker s’était même engagé verbalement auprès de Mikhaïl Gorbatchev à ce que l’OTAN ne s’élargisse pas d’« un pouce » vers l’Est depuis sa position en Allemagne de l’Ouest, comme le révèle M. E. Sarotte dans son livre Not One Inch. America, Russia, and the Making of Post-Cold War Stalemate. (Yale University Press, 2021).

Mais le président Bush père a balayé cet engagement du revers de main et a voulu, comme ses successeurs, profiter la faiblesse de la Russie pour élargir la zone d’influence des États-Unis. Il a convoqué Helmut Kohl pour un sommet à Camp David pour lui faire abandonner son rêve d’une Allemagne sans armes nucléaires et des émissaires américains ont convaincu Vaclav Havel de se prononcer – en toute indépendance, bien entendu – pour l’adhésion de son pays à l’OTAN.

Dans son livre, Mme Sarotte décrit minutieusement les péripéties de l’élargissement de l’OTAN jusqu’aux confins de la Russie. Nous avons publié un résumé de la première partie de son livre. Une deuxième partie suivra bientôt. De nombreux politiciens et spécialistes américains, du célèbre George Kennan, le père du containment, qui a été la stratégie militaire victorieuse des États-Unis au cours de la Guerre froide, jusqu’à l’actuel directeur de la CIA, Bill Burns, ont déclaré que l’élargissement de l’OTAN était une « erreur stratégique majeure » et ne pouvait être interprété que comme une provocation par la Russie (Nous avons publié dix-neuf de ces prises de position).

Le cas de l’Ukraine était particulièrement sensible à cause de la dimension de son territoire avec une longue frontière commune avec la Russie, de précédents historiques (les vastes plaines de l’Ukraine ont été la voie royale empruntée par les troupes de Napoléon et d’Hitler pour l’envahir), de l’importance de sa population (44 millions d’habitants aujourd’hui), de la présence sur son territoire d’ogives nucléaires, lors de la dissolution de l’URSS.

À l’époque, la principale préoccupation de l’administration américaine était de s’assurer que le gouvernement de l’Ukraine, qu’elle acquière son indépendance ou demeure au sein de l’URSS, n’exercerait aucun contrôle sur les armes nucléaires présentes sur son sol, qu’elles passeraient sous contrôle russe avant d’être démantelées. Puis, les États-Unis ont évité de l’inclure dans les différentes vagues d’expansion de l’OTAN jusqu’aux confins de la Russie lors de  l’adhésion des pays de l’Est et d’ex républiques soviétiques, sachant que ce serait éventuellement un cas de casus belli avec la Russie. Cela jusqu’au sommet de l’OTAN à Bucarest en 2008, alors que Bush fils, jouant au matamore après l’invasion de l’Irak et l’installation de défenses antibalistiques en Pologne et de radars en République tchèque, a prôné l’inclusion de la Géorgie et de l’Ukraine, au moment où se déroulaient des « révolutions de couleur » dans les États postsoviétiques. Ce fut le point de rupture avec la Russie postsoviétique.

Les États impérialistes cherchent continuellement à élargir leur zone d’influence, ce qui signifie également d’empêcher leurs concurrents d’élargir les leurs, comme l’affirmait un rapport du Pentagone, cité par Mme Sarotte : « Le but de la période de l’après-Guerre froide n’est pas de coopérer avec la Russie, mais d’empêcher une superpuissance d’émerger. »
 

Le Canada et l’anglosphère

Historiquement, le Canada s’était taillé une réputation de pacificateur par son rôle de médiation dans des conflits. Dans les années 1950, il avait été à l’origine des Casques bleus de l’ONU avec son intervention dans la crise du canal de Suez, ce qui avait valu le Prix Nobel de la Paix à Lester B. Pearson. Après la dissolution de l’Union soviétique, il avait offert ses services pour régler des conflits internes aux nouveaux États en brandissant son expertise en matière de fédéralisme. Cette expertise aurait pu être appréciable dans le cadre des accords de Minsk.

Les accords de Minsk ont été signés le 5 septembre 2014 par les représentants de l'Ukraine, de la Russie, de la République populaire de Donetsk (DNR) et de la République populaire de Lougansk (LNR) pour mettre fin à la guerre en Ukraine orientale. Ils prévoyaient « une décentralisation des pouvoirs, par la mise en application d'une loi ukrainienne (loi sur le statut particulier), accordant de manière temporaire l'autonomie locale dans les oblasts (divisions administratives) de Donetsk et de Lougansk ».

Une structure fédérative était la conclusion logique. Mais la Russie et l’Ukraine ne se sont jamais entendues sur la portée des pouvoirs qui auraient pu être consentis à ces deux républiques tout en maintenant leur appartenance à l’Ukraine. Le Canada aurait pu proposer ses services de médiation dans ce conflit avec son expertise autoproclamée sur le fédéralisme et les droits linguistiques, la suppression des droits linguistiques de la minorité russophone par le gouvernement ukrainien ayant été un des principaux motifs invoqués par la Russie pour l’annexion de la Crimée et son appui aux séparatistes de Donetsk et de Lougansk. Mais le Canada a plutôt contribué à envenimer le conflit avec, entre autres, l’envoi de soldats pour assurer la formation des forces armées ukrainiennes afin qu’elles soient interopérables avec les forces de l’OTAN. Radio-Canada vient de nous apprendre que le Canada a dépensé, depuis 2014, un milliard de dollars pour former, entre autres, des membres du régiment néonazi azov.

Le Canada avait déjà un parti-pris pour le gouvernement ukrainien qu’il avait contribué à mettre en place par son ingérence dans les affaires intérieures de l’Ukraine. En 2014, lors des événements du Maiden, le gouvernement Harper avait octroyé des fonds aux activistes qui ont renversé le gouvernement légitimement élu d’Ianoukovitch et le ministre des Affaires étrangères John Baird s’est fait filmer à Kyiv en portant le foulard des opposants. Le Canada avait déjà joué un rôle de premier plan dans la « Révolution orange » de 2004. L’ambassade canadienne aurait alors versé, selon le Globe and Mail, plus d’un demi-million de dollars aux opposants et organisé des réunions secrètes avec les représentants de 28 ambassades de pays occidentaux pour influencer le résultat de l’élection.

Cette implication canadienne n’est pas sans liens avec la présence au Canada de la plus importante communauté d’origine ukrainienne à l’extérieur de l’Ukraine et de la Russie, avec près de 1,5 million de membres. Depuis 2004, elle s’est impliquée dans toutes les élections ukrainiennes par l’envoi d’argent et de centaines d’« observateurs ».

La communauté est divisée à propos de l’Ukraine, mais la fraction la plus influente est anti-Russe et appuie l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN. Sa chef de file est la vice-première ministre Chrystia Freeland. D’origine ukrainienne, Chrystia Freeland parle couramment l’ukrainien. Sa mère a contribué à la rédaction de l’actuelle constitution ukrainienne. 

Bien entendu, la communauté ukrainienne a beau être influente, la politique du gouvernement Trudeau est surtout dictée par son appartenance à l’OTAN et son assujettissement au gouvernement américain. Nous sommes bien loin de l’époque où Trudeau père proposait à son cabinet de quitter l’OTAN et de mettre fin, le plus rapidement possible, à la présence des troupes canadiennes en Europe.

La position va-t-en-guerre du Canada est commune à deux autres membres de l’anglosphère : les États-Unis et la Grande-Bretagne. Les trois pays ont un intérêt certain à l’enlisement du conflit. Il affaiblit la Russie, mais également les pays européens avec les répercussions des sanctions, tout en les obligeant à resserrer les rangs dans l’OTAN. La guerre et les sanctions sont du pain bénit pour les marchands d’armes, les pétrolières, les gazières, les secteurs financiers, de l’aluminium, du blé, du bois d’œuvre, etc., du trio de l’anglosphère.
 

Notre position

Dans une entrevue accordée au magazine britannique The Economist (2-8 avril 2022), le président ukrainien Volodymyr Zelensky divise l'OTAN en 5 camps, avec en tête de liste, le camp de « ceux qui se foutent que la guerre dure longtemps parce que cela contribue à épuiser la Russie, même si cela se fait aux dépens de l'Ukraine et implique un énorme coût en vies ukrainiennes ». Un camp dans lequel, on reconnait les États-Unis, la Grande-Bretagne, le Canada et, bien entendu, l’OTAN. Son secrétaire général, M. Stoltenberg, ne vient-il pas de déclarer que le monde doit se préparer à «une guerre de longue durée, sur plusieurs semaines, voire des mois ou des années».

Les Ukrainiens ne sont pas dupes. Selon des propos rapportés par The Economist «plusieurs Ukrainiens croient que Biden veut laisser trainer en longueur le conflit pour épuiser la Russie au prix du sang de plusieurs Ukrainiens».

Le président Zelensky se démarque de cette position. Lorsque le journaliste de The Economist lui demande quelle serait, pour lui, la définition d’une victoire, il répond : « La victoire, c'est d'être en mesure de sauver le plus de vies possibles... parce que, sans cela, le reste n'a aucun sens. Notre terre est importante, mais, ultimement, c'est seulement un territoire. »

Il concède, selon le journaliste, que protéger tout le monde et défendre les intérêts de tous, tout en protégeant le peuple et sans céder de territoire est une tâche impossible. À remarquer qu'il a déjà fait une concession majeure en renonçant à sa position initiale d'adhésion de l'Ukraine à l'OTAN.

Nous partageons ce point de vue. Nous appelons à des négociations et à la conclusion rapide d’une paix équitable pour tous dans les circonstances. Avant l’invasion, différentes options ont été mises de l’avant que ce soit dans le cadre des accords de Minsk ou par un statut de neutralité similaire à celui de l’Autriche, lors de la Guerre froide. Nous n’avons pas de solution à proposer. Aux belligérants d’y voir. Nous ne voulons pas être la contrepartie de ces généraux d’estrade qui prônent dans nos médias l’envoi de blindés, l’imposition d’une « no fly zone », voire même d’une entrée en guerre ouverte de l’OTAN.

Ils ne prennent pas au sérieux la déclaration du président Biden sur le fait que l’entrée en guerre de l’OTAN signifierait le déclenchement de la Troisième Guerre mondiale. Il est aussi remarquable que les mêmes personnes qui qualifient Poutine de fou balaient du revers de la main, en le qualifiant de bluff, son avertissement qu’il pourrait avoir recours aux armes nucléaires ! Une suggestion : revoir le film Doctor Stangelove de Stanley Kubrick. Rassurons-nous ! Poutine a vu le film. Il lui a été présenté par Oliver Stone, nous apprend ce dernier dans son documentaire Conversations avec M. Poutine (2017).

Il est désolant de constater la quasi-absence de prises de position de leaders indépendantistes en faveur de la paix, de l’absence de démarcation avec la position du Canada et, par le fait même, de non-concordance avec la tradition pacifiste du mouvement souverainiste québécois. Le jour même de la présentation du dernier budget Freeland, un chœur de fédéralistes et de souverainistes déclarait que, au chapitre des dépenses militaires, il « ne répondait pas aux attentes ». Aux attentes de qui ? De l’OTAN ? Du complexe militaro-industriel ?
 

L’aut’journal

La guerre et la paix sont des questions existentielles pour l’humanité. C’est pourquoi elles suscitent autant de passion. Des positions passionnées qui s’accompagnent d’invectives, d’injures, voire de menaces, à l’égard de ceux qui professent des positions contraires. L’aut’journal en est victime en présentant une voix discordante dans le concert unanime des grands médias en faveur des budgets militaires et de l’appui à la guerre. Cela ne nous étonne pas. Après tout, n’avons-nous pas fondé ce journal pour présenter un aut’point de vue sur les politiques internationales et nationales, un point de vue qui est celui des classes ouvrière et populaire qui, dans ce conflit, vont être touchées par l’inflation résultant des perturbations causées par la guerre.

Plutôt que l’escalade, nous prônons la désescalade. Notre solidarité est avec tous les pacifistes du monde, particulièrement ceux d’Ukraine et de Russie, qui veulent qu’on mette un terme le plus rapidement à cette guerre qui cause tant de morts, de blessés, de déplacés et de destruction d’habitations et de services publics, et qui risque de dégénérer en conflit mondial.

Soutenons l’indépendance de l’Ukraine ! Russie et OTAN, hors de l’Ukraine.

Pacifistes de tous les pays, unissons-nous !