Tunisie : Legault a « oublié » l’éducation

2022/11/25 | Par Luc Allaire

Les chefs d’État et de gouvernement des pays francophones se sont retrouvés à Djerba en Tunisie pour le Sommet de la Francophonie qui s’est déroulé les 19 et 20 novembre. Le premier ministre François Legault y était, le Québec comme le Nouveau-Brunswick étant reconnus comme des gouvernements membres à part entière de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF).

François Legault est arrivé avec une forte délégation de gens d’affaires issus des chambres de commerce et du Conseil du patronat. Son objectif était clair : il souhaite doubler les échanges commerciaux avec la France. « Le Sommet de la Francophonie est un rendez-vous unique et incontournable pour le Québec. Il s’agit d’un levier extraordinaire pour faire valoir nos intérêts, surtout en ce qui touche l’économie et le numérique », a-t-il déclaré.

La délégation canadienne, au contraire, était composée de personnes représentant des organisations de la société civile francophone canadienne, dont l’Association des collèges et universités de la francophonie canadienne, la Société Nationale de l’Acadie, la Fédération des communautés francophones et acadienne et le Comité syndical francophone de l’éducation et de la formation (CSFEF).

 

L’éducation, la grande oubliée

J’étais le seul Québécois de la délégation canadienne à titre de secrétaire général du CSFEF, le gouvernement du Québec n’ayant pas jugé important d’inviter de personnes issues du réseau de l’éducation.

Pourtant, s’il y a un sujet déterminant pour l’avenir de la langue française, c’est bien l’enseignement du français et l’éducation en français. C’est d’ailleurs ce qu’a rappelé la secrétaire générale de l’OIF, Louise Mushikiwabo, qui a été réélue pour un mandat de quatre ans.

« L’Afrique porte la langue française en termes démographiques », a-t-elle souligné lors de la conférence de presse de clôture du Sommet. Si le nombre de locuteurs de la langue française augmente dans le monde, cela est dû à la démographie galopante dans les 29 pays africains membres de l’OIF.

Toutefois, a-t-elle ajouté, « des efforts supplémentaires sont nécessaires pour que la langue française demeure attractive dans ces pays où il y a de nombreuses langues nationales et où la langue anglaise accroît son attraction auprès de la jeunesse ». 

La secrétaire générale de l’OIF a aussi rappelé le fait que la langue française perdait du terrain au profit de l’anglais dans les organisations internationales qui siègent en Europe, ainsi que dans la recherche universitaire. « Le multilinguisme n’est pas un problème en soi, mais il devient un problème si le français continue de capituler face à la langue anglaise. »

 

Rendez-vous avec Justin Trudeau et Mélanie Joly

À la clôture du Sommet, la délégation canadienne avait rendez-vous avec Justin Trudeau et la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly. J’ai profité de l’occasion pour leur parler de la question de l’éducation de qualité en français. Justin Trudeau m’a répondu qu’étant un ancien professeur de français, cette question lui tenait à cœur et qu’il verrait à ce qu’il y ait davantage d’investissements en éducation de la part du Canada dans les pays africains.

La ministre Mélanie Joly a été plus explicite. Elle a reconnu que le Canada avait diminué son aide internationale à l’éducation en Afrique depuis 20 ans et qu’il devrait reprendre ses investissements. Le Canada, n’ayant pas de passé colonialiste, devrait jouer un rôle plus important en faveur du développement de la langue française en Afrique, a-t-elle ajouté.

 

Un mois plus tôt, la Rencontre du CSFEF

Un mois avant le Sommet de la Francophonie, le Comité syndical francophone de l’éducation et de la formation a tenu une rencontre à Hammamet en Tunisie qui a réuni 56 représentantes et représentants de syndicats de l’éducation issus de 29 pays francophones.

Les personnes déléguées à cette rencontre ont alors adopté une déclaration qui a été envoyée aux chefs d’État et de gouvernement des pays francophones.

Cette déclaration soulignait que le thème du Sommet, « Le numérique, vecteur de développement et de solidarité dans l’espace francophone », prenait une couleur toute particulière en cette année 2022 où toutes les régions du monde se relèvent difficilement de la pandémie causée par la COVID-19.

Le personnel de l’éducation et les élèves ont été sévèrement touchés par la COVID-19, les écoles de la grande majorité des pays francophones ayant dû fermer leurs portes pour éviter la propagation du virus. Les gouvernements ont préconisé de poursuivre un « enseignement à distance », mais force est de constater que les systèmes éducatifs n’étaient pas bien préparés. Cette fermeture a renforcé les inégalités entre les pays.

Les syndicats de l’éducation ont aussi discuté des guerres et des conflits qui ont des conséquences meurtrières sur les populations civiles, et qui empêchent les écoles de fonctionner. En République démocratique du Congo, les conflits frontaliers à l'est du pays sont désastreux pour le droit à l'éducation, 8 millions d'enfants sont déscolarisés du fait que des écoles sont détruites, ou qu’elles servent de lieu d'accueil pour les réfugiés.

Le gouvernement de la RDC est d’ailleurs intervenu lors du Sommet de la Francophonie afin d’insérer dans le communiqué final du Sommet la condamnation du Rwanda pour actes d’agression dans le Nord-Kivu. Ce à quoi s’est farouchement opposé le gouvernement rwandais. Finalement, le communiqué final n’est pas allé dans le sens souhaité par la RDC.

Kinshasa voulait profiter de la tribune du monde francophone pour obtenir une condamnation de Kigali qu’il accuse d’agression. Le premier ministre de la RDC, Sama Lukonde, a d’ailleurs refusé de s’afficher sur la photo officielle à l’ouverture du 18e Sommet au côté des autres chefs d’État.

Questionnée à ce sujet, la secrétaire générale de l’OIF a répondu qu’elle n’avait pas remarqué son absence…

La tension est vive en RDC après le Sommet. « Tous voudraient organiser des manifestations anti-OIF, son silence devant la misère imposée en RDC dont la France est nommément citée parmi les auteurs et la présence d’une secrétaire-généale fortement anglophone en sont la cause », a déclaré le secrétaire général de la FENECO, Augustin Tumba Nzuji.