Sonia LeBel veut parler de l’organisation du travail? Parlons-en!

2023/11/24 | Par Pierre Dubuc

Tel un perroquet fou, la présidente du Conseil du Trésor Sonia LeBel répète à tous vents qu’elle veut d’abord discuter de l’organisation du travail. Alors, allons-y, madame! Que diriez-vous de commencer par l’enseignement primaire et secondaire.

Vous avez sans doute vu dans le Journal de Montréal de samedi dernier, le 18 novembre, le palmarès des écoles du Québec. Sans surprise, les écoles privées et les écoles publiques avec des projets particuliers trônent en tête du palmarès. Sans surprise, dis-je, parce que c’est la même chose, année après année, palmarès après palmarès.

Pour ne pas trop décourager les parents dont les élèves n’ont pas la chance de fréquenter les écoles de l’élite, le Journal a inventé la catégorie des écoles qui se sont « améliorées ». Mince consolation que de se comparer à soi-même dans un palmarès.

L’organisation du système

Depuis des lunes, on connaît la cause fondamentale de ce qui ne va pas : « l’organisation » du système éducatif. La majorité des élèves se retrouvent dans des classes dites « régulières », c’est-à-dire doublement écrémées de leurs meilleurs élèves par les écoles privées, puis par les écoles publiques à projets particuliers.

Toutes les études sérieuses démontrent que cette situation est mortelle pour l’estime de soi des élèves des classes « régulières » – un tiers des élèves décrochent avant d’avoir terminé leur secondaire 5 – et que leur concentration rend les classes ingérables, ce qui amènent plus du quart des enseignantes à rendre leurs craies et leurs crayons au cours des premiers cinq ans d’enseignement.

Les mêmes études soutiennent avec le même sérieux que la mixité scolaire – c’est-à-dire la présence au sein d’une même classe d’élèves possédant des aptitudes différentes – stimule les moins talentueux et ne nuit pas aux bolés. D’un point de vue scolaire, mais aussi social en évitant de les cantonner dans une caste de privilégiés.

La solution est toute simple : « réorganiser » le système en abolissant les subventions publiques aux écoles privées. Un élève du privé reçoit en fonds publics 75 % du montant que reçoit un élève équivalent du réseau public. On peut même en voir le résultat dans la province chérie de Monsieur Legault : l’Ontario. Les subventions publiques aux écoles privées n’existent pas. Un maigre 5% des élèves fréquentent toujours des écoles privées non subventionnées; les autres sont sur les bancs des écoles publiques.

Bien entendu, notre élite économique, politique, médiatique et même, dans certains cas, syndicale, ne veut pas en entendre parler. Faut protéger leurs enfants de la plèbe. Car il a été démontré que la stratification du système correspond à la stratification sociale. Puis, c’est le phénomène des saucisses hygrade : plus de parents envoient leurs enfants à l’école privée, plus l’école publique se dégrade. Plus elle se dégrade, davantage de parents inscrivent leurs enfants à l’école privée. Résultat : La part de marché du réseau privé subventionné augmente. De 5 % en 1970, elle est aujourd’hui de 21 % au secondaire. Elle atteint même 39 % à Montréal et 42 % à Québec, avec pour résultat que notre système d’éducation est le plus inégalitaire au Canada.

« Patchage »

Alors, on cherche des « solutions » dans « l’organisation du travail » des classes régulières en évitant de s’attaquer à la cause fondamentale. On promet l’ajout de ressources inexistantes. Du « patchage ». Ou bien – grande nouveauté!  – d’ajouter une nouvelle sélection, comme le propose le grand « pédagogue » et « justicier » Mathieu Bock-Côté, dans sa chronique du 31 octobre du JdeMtl qu’il a intitulée « La guerre contre l’école privée est une guerre injuste ».

« Les élèves turbulents condamnent les professeurs à faire de la discipline à temps plein », constate-t-il. La solution de MBC est toute simple : « Dans un monde normal, on mettrait les élèves à problèmes dans une classe à part en on cesserait de les transformer en fardeau pour tous ceux qui veulent enseigner et apprendre calmement. »

Comme il y a 24% des élèves – 34% au secondaire – en situation de handicap ou en difficulté d'adaptation ou d'apprentissage (HDAA) – MBC, qui n’a que le mot « peuple » à la bouche, condamne entre un quart et un tiers du « peuple » à la marginalité et à l’échec. Où le « populiste » MBC a-t-il puisé sa solution miracle? Je parie qu’il nous répondrait à la Poilièvre dans le Gros Bon Sens.

Le plan de L’école ensemble

Bien entendu, l’abolition de l’école à trois vitesses ne se règlera pas aux tables de négociations patronales-syndicales. Elle doit prise en charge par un parti politique. Cela ne viendra pas de la CAQ. Avec un air de vendeur de chars usagés errant dans un garage abandonné d’un patelin perdu, le ministre Drainville a déclaré qu’il ne voit pas de problème avec l’école à trois vitesses.

Dernièrement, le Parti Québécois a tenu un colloque sur le sujet. Il avait invité Stéphane Vigneault, le coordonnateur du mouvement L’école ensemble à venir présenter leur plan qui résout le problème dans lequel s’enfargeaient les partisans de l’abolition des subventions publiques aux écoles privées : Faut-il les supprimer graduellement ou d’un seul coup?

Le plan de L’école ensemble propose la création d’un réseau commun comprenant les écoles publiques et les écoles privées conventionnées. Toutes les écoles du réseau commun auraient un bassin scolaire attitré. Les écoles du réseau commun ne disposeraient donc plus du droit de sélectionner leurs élèves. La fin de la sélection des élèves impliquerait la fin du droit d’exiger des frais de scolarité : les élèves seraient admis dans leur école de quartier, peu importe la capacité de payer de leurs parents. Les écoles privées conventionnées seront donc financées à 100 % par l’État, c’est-à-dire autant que les écoles publiques.

Les élèves iraient à l’école de leur quartier. Chaque école secondaire offrira à tous ses élèves un choix de parcours particuliers en s’assurant que ce choix de cours n’ait pas de conséquence ségrégative. (Pour une présentation complète du plan, cliquez ici. L’aut’journal no. 407)

Le Conseil national du PQ a accepté le plan. Il renouait ainsi avec l’esprit d’une résolution présentée par le club politique Syndicalistes et progressistes pour un Québec libre (SPQ Libre) et adoptée au congrès de 2005 du PQ dirigée alors par Bernard Landry, mais vite reniée par son successeur André Boisclair.

Le rôle nécessaire des syndicats

Il faut saluer l’initiative du chef péquiste Paul St-Pierre Plamondon d’avoir remis la question à l’ordre du jour. Mais la partie est loin d’être gagnée. Le Conseil national a adopté le principe, mais a regimbé sur le calendrier d’application.

Le problème est la composition sociale des partis politiques. L’élite petite-bourgeoise, qui envoie ses enfants à l’école privée, y est surreprésentée dans tous les partis, Québec solidaire compris. Les travailleuses et les travailleurs, autrement dit la majorité de la population, y sont absents ou, au mieux, marginalisés.

Pourtant, selon un sondage mené pour le compte de L’école ensemble, la volonté populaire est claire : Les trois-quarts (73 %) des Québécois ne veulent plus payer pour l’école privée de l’élite et veulent que leurs taxes et impôts servent à l’école publique où vont leurs enfants. Les deux tiers des Québécois rejettent aussi l’écrémage dans le réseau public.

La seule façon de provoquer le changement nécessaire est que l’ensemble des syndicats – et pas seulement ceux représentant le personnel enseignant – se mettent de la partie et mènent campagne pour l’implantation du plan de L’école ensemble. Il ne suffit pas de proclamer que l’éducation est la priorité des priorités. Il faut prendre les moyens pour qu’elle le devienne.